À l’époque où le premier Syberia voit le jour, le genre du pointer-cliquer est un peu en déroute. L’évolution technologique ayant permis entre autres aux RPG et aux jeux de tir de s’imposer comme le nec plus ultra sur les consoles et le PC, les jeux d’aventure essaient tant bien que mal de refaire peau neuve face à cette nouvelle concurrence. Syberia décide de faire bande à part et de respecter la tradition de la souris et de la gestion d’inventaire de base. C’est à peine si on remarque le design moyen des personnages, camouflé par des paysages époustouflants issus de l’imaginaire du bédéiste Benoît Sokal.

Sortis respectivement en 2002 et 2004, les deux premiers Syberia racontaient un récit avec une conclusion pour le moins solide. Cela n’en a pas empêché plusieurs de caresser l’idée de voir un jour la naissance d’un troisième opus. Un opus qui finira par arriver treize ans plus tard, presque en catimini, suivi d’un accueil plutôt mitigé en raison de plusieurs problèmes de jouabilité qui ont fini par plomber une histoire et des énigmes pourtant de bon calibre.

Et voilà maintenant qu’un quatrième titre, Syberia – The World Before, voit le jour. C’est encore avec plaisir que le joueur retrouvera l’Américaine Kate Walker, ex-avocate de New York, en cavale dans les contrées eurasiennes depuis qu’elle a entamé ses aventures dans le premier Syberia. Cette fois, elle part sur les traces de Dana Rose, une jeune pianiste ayant vécu dans la ville fictive de Vaghen dans les années 30.

Syberia – The World Before n’aura malheureusement pas le bonheur de compter sur la présence de Benoît Sokal à sa sortie, celui-ci nous ayant quitté le 28 mai 2021. C’est donc à titre posthume que le nouveau jeu de l’éditeur Microids et du développeur Koalabs arrive sur les plateformes en ligne. Et on peut au moins se rassurer que le résultat reste fidèle à la marque de la franchise.

Et ce malgré que cet épisode prenne le pari risqué de dire adieu aux Youkols, aux mammouths et aux plaines sauvages au profit d’une narration plus personnelle, campée dans un cadre germanique, mais fortement citadin avec une population bouillonnante. C’est en quelque sorte un retour aux sources que se permet Kate Walker. Ses recherches sur Dana Rose l’amèneront à apprécier davantage une carte postale à travers l’Europe centrale et plus particulièrement à Vaghen, bourgade bucolique au lourd héritage historique et à l’avenir incertain.

Par le passé, les Syberia mettaient en vedette à la fois Kate et son fidèle compagnon de route, l’automate Oscar. Cette fois-ci, ils seront rejoints par trois autres personnages jouables (PJ) dont Dana Rose elle-même. En effet, Syberia – The World Before utilise les sauts temporels entre les années 30 et le présent renforçant petit à petit le lien mystérieux entre la musicienne et l’avocate. Oscar et les autres PJ serviront principalement de points d’ancre destinés à en apprendre davantage sur les deux protagonistes.

Côté jouabilité, on peut dire que du neuf a été fait avec du vieux. La souris revient en force comme outil principal de navigation. Un simple clic gauche fait avancer Kate / Dana et un double clic actionne le jogging. En maintenant le bouton enfoncé, il suffit d’indiquer la direction à suivre pour que le PJ continue sa marche ou sa course jusqu’au mur le plus proche. Le clic droit sert quant à lui à balayer les coins de l’écran dans le but de trouver des points d’intérêt cachés. Le journal de bord tient compte des objectifs, des documents et de l’inventaire. Les développeurs sont même allés jusqu’à inclure des tâches facultatives. Leur résolution (ou non) n’a pas d’influence sur la fin, mais demeure une bonne occasion d’en apprendre davantage sur le monde de Syberia.

En ce qui concerne les graphismes, un impressionnant travail de remise à neuf a été fourni. Une animation traitée aux petits oignons et des environnements criants de réalisme. Benoît Sokal aurait été très fier d’un rendu qui louange son amour de l’architecture, des montagnes enneigées et bien sûr de la mécanique. Le doublage français contribue aussi à souffler la vie dans cette BD interactive, Françoise Cadol en tête, toujours fidèle au poste depuis 2002 dans le rôle de Kate Walker. Finalement, le compositeur Inon Zur revient à la charge avec une trame sonore de qualité comme à son habitude.

Si on parle de BD interactive, c’est parce que Syberia – The Lost World joue un peu dans les mêmes plates-bandes que celles des jeux de Telltale Games et Quantic Dream. Une certaine linéarité est de mise et on y jouera avant tout pour le plaisir de vivre des émotions fortes à travers les deux héroïnes qu’on apprend à mieux connaître au fil des chapitres. Ce qui ne veut pas dire que l’aventurier en herbe ne se creusera pas les méninges. Les développeurs font des efforts soutenus en termes d’interactivité, que ce soit à travers l’examen approfondi de mécanismes ou la lecture attentive d’un texte contenant des indices. Un système d’astuces est également mis à la disposition des débutants qui nécessiteraient un petit coup de pouce en cas de blocage temporaire. Les meilleures sections restent sans conteste celles donnant la possibilité de choisir à volonté entre Dana et Kate afin d’utiliser les connaissances du passé comme repère sur les casse-têtes du futur. En gros, les puzzles sont assez bien répartis et diversifiés et se concordent avec la simplicité des contrôles et la charge des dialogues.

Quant aux bémols, ils sont surtout d’ordre technique. S’il est possible de regarder en haut et en bas avec la caméra, il est cependant interdit de changer son orientation. Ceci peut-être fâcheux durant les va-et-vient puisque les angles s’ajustent par eux-mêmes selon l’entrée ou la sortie empruntée par un PJ. Dans les grands espaces, cela déroute rapidement le sens de l’orientation. En outre, les zooms posent problème avec l’examen minutieux de certains appareils puisqu’ils sont énormément sollicités durant ces phases. Ainsi, un premier zoom donne une vue d’ensemble tandis qu’un deuxième permet de se concentrer sur une branche particulière de l’objet en question. Si des papiers ou des breloques recelant des indices se trouvent sur le premier zoom, il faudra alors passer son temps à zoomer et dézoomer durant les moments de réflexions ce qui à la longue devient très fatigant. L’aventurier impatient aura tôt fait de prendre une photo des indices avec son cellulaire tout en évitant des maux de tête supplémentaires.

Ceux qui ont suivi Kate Walker depuis ses débuts seront peut-être déçus du virage scénaristique qui a presque des airs de soft reboot. L’histoire dans son ensemble ne manque pas de fougue, mais reste quand même un peu trop construite sur des fondements qui trouvent leur origine dans le hasard et de la coïncidence. Certaines révélations frôlent même le ridicule et le périple de Dana en particulier n’est pas un exemple de subtilité.

En dépit de tout cela, on ne niera pas que Syberia – The World Before pique notre curiosité. La franchise a eu le mérite de bénéficier d’une vision d’auteur qui jusqu’à maintenant est demeurée intacte. Syberia vend le rêve du voyage avec toutes les fatalités personnelles qui s’y attachent. Et le dernier de la marmaille, malgré quelques maladresses, continue fièrement la tradition.

Le jeu fut testé sur PC via un code de téléchargement qui fut gracieusement offert par Microids.

Un texte de: « Amine S »

Site officiel: https://lacritiquedumoment.wordpress.com/